A. Introduction
Pierre entre dans la salle pour la première réunion de ce nouveau groupe de travail. Il est essoufflé et en sueurs même s'il est en avance. D'un coup d'oeil il trouve une place libre et s'empresse d'y déposer ses documents. Mine de rien, il jette des coups d'oeil furtifs aux autres. Il cherche à se donner une contenance pour que personne ne puisse voir combien il est tendu. Ses gestes sont saccadés et maladroits, sa posture est rigide, ses mains sont moites, il a la bouche sèche. En ce moment, il n'aspire qu'à une chose: survivre à cette première réunion.
Lorsque Julie arrive, elle s'arrête, jette un regard sur les personnes déjà présentes et sourit aux deux personnes qui répondent à son regard. Pierre n'est pas de ceux-là; il l'examinait du coin de l'oeil, mais s'est empressé de regarder dans la direction opposée lorsqu'elle s'est tournée vers lui. Il s'en veut aussitôt, mais il voudrait quand-même être invisible. Lorsque Julie vient s'installer à côté de lui, il est tellement embarrassé qu'il en échappe son crayon. Comble de malheur, elle lui parle: "Bonjour, je m'appelle Julie, je travaille à la comptabilité. Je me demande bien pourquoi on nous a réunis. Le savez-vous?"
Maintenant, Pierre est terrorisé! Il veut répondre, mais aucun son ne sort de sa gorge. Il se demande quoi dire, quoi faire de ses mains, comment avoir l'air dégagé. Il sait qu'il ne réussira pas, comme d'habitude... Heureusement, la réunion commence immédiatement; sauvé!
Pendant la première partie de la réunion, Pierre n'arrive pas à être attentif. Il est trop occupé à s'en vouloir d'avoir bafouillé. Il envie l'assurance de Julie. Il la trouve chanceuse d'être aussi complètement à l'aise, d'avoir parfaitement confiance en elle et de réussir ainsi sans effort. Après une heure à peine, il constate que Julie devient déjà une personne importante dans le groupe alors que lui n'a pas encore ouvert la bouche et ne sait pas trop de quoi il est question.
Comme dans les autres comités dont il a fait partie, Pierre se dirige vers un échec humiliant. Il ne sera qu'un figurant aussi silencieux que possible. Lorsqu'il ne pourra pas éviter d'émettre une opinion, il s'en tiendra à un point de vue vague, aussi proche que possible des opinions des autres. Pourquoi?
On peut certainement dire que Pierre n'a pas confiance en lui-même. C'est vrai, mais incomplet. On pourrait tout aussi bien dire que Pierre prend tous les moyens pour éviter d'avoir confiance en lui: il fait exactement tout ce qu'il faut pour saboter ses chances d'augmenter sa confiance. C'est également vrai, mais beaucoup plus important, car cette vision laisse entrevoir une solution.
Le but de cet article est de faire comprendre comment on peut changer ce genre de situation: comment on peut transformer cet échec destructeur assuré en un tremplin créateur de confiance. C'est beaucoup plus facile qu'on peut le croire, vous verrez.
B. Mythe et réalité
Du point de vue de Pierre, la confiance en soi est une chose assez magique et plutôt injuste. Il trouve que Julie a la vie très facile: elle est à l'aise et sûre d'elle-même sans avoir à faire quoi que ce soit pour l'obtenir. Il suppose que c'est dû à son éducation et à son milieu familial lorsqu'elle était enfant. Il croit que s'il avait été davantage supporté et encouragé par ses parents il serait comme Julie: tout serait facile et il aborderait les situations avec une assurance inaltérable.
Mais la réalité est moins simple. Julie aussi est dans une situation nouvelle et ne connaît personne. Elle est nerveuse comme Pierre, mais elle choisit de créer le contact avec les autres au lieu de l'éviter. C'est sa façon de se rassurer et de faire face à cette situation.
La différence principale entre nos deux membres du comité, c'est donc la stratégie qu'ils ont adoptée pour vivre cette situation nouvelle; l'un évite les contacts alors que l'autre les établit pour se rassurer. Dès que ce choix est fait, on peut prédire à coup sûr qui réussira à faire de ce groupe une expérience enrichissante et qui en sortira avec une image négative de lui-même.
Julie a décidé que la façon la plus facile d'être à l'aise, c'est d'être aussi naturelle et ouverte qu'elle le peut. Elle ne cherche pas à dissimuler sa nervosité; elle la transforme en action. Elle ne cherche pas à apparaître "au dessus de ses affaires", elle se sert même de son inconfort comme sujet de conversation pour aborder Pierre. Pour elle, sa nervosité est justement une bonne raison d'aborder les gens; elle sait que c'est ainsi qu'elle fera disparaître. Elle ne cherche pas à impressionner les autres, elle cherche à utiliser cette situation pour connaître de nouvelles personnes et pour apprendre à travailler en groupe. Avec de tels objectifs, elle réussira certainement.
Pierre, de son côté, a choisi de dissimuler son malaise et de se taire tant qu'il n'aura pas quelque chose d'assez brillant à dire pour impressionner tout le monde. En faisant ce choix, il se condamne à l'échec, car ses exigences sont irréalistes et sa tactique de dissimulation le paralysera à coup sûr.
C. L'influence de l'éducation
Pierre a-t-il raison de croire que c'est à cause d'une enfance plus heureuse dans un milieu familial plus supportant que Julie est plus confiante que lui? En réalité, la vraie réponse à cette question est "peut-être en partie". En effet, le fait d'être aimé, traité avec respect et avec confiance par ses parents quand on est jeune peut contribuer à donner un meilleur départ du point de vue de la confiance en soi. Mais ce n'est pas la seule façon dont les parents peuvent avoir une influence dans ce domaine.
Souvent, les parents empêchent un enfant de commencer à développer sa confiance en voulant le protéger de l'échec ou de la douleur. "Je vais t'aider pour ne pas que tu te blesses" et "Je vais le faire à ta place" peuvent tuer dans l'oeuf les premiers germes de la confiance en soi, même lorsqu'ils sont faits avec amour. Ils sont nuisibles de deux façons:
ils donnent à l'enfant une image de lui-même comme quelqu'un d'incapable et
ils lui font croire qu'il est très grave d'échouer, de se faire mal ou d'avoir de la difficulté à parvenir à son but. Cette deuxième façon est la plus grave, car elle est plus difficile à surmonter par la suite.
Une autre façon dont le milieu familial peut nuire à la confiance en soi, c'est en supportant trop l'enfant. Il y a deux façons principales de le faire:
en approuvant tout sans aucune discrimination et
en encourageant l'enfant de façon à le faire atteindre un plus haut niveau de performance.
Dans le premier cas, l'enfant apprend qu'il n'y a pas de place pour l'échec dans sa vie: il réussit tout sans effort et l'échec est une impossibilité. De cette façon, il ne peut devenir réaliste dans sa vision de lui-même et ne peut développer sa capacité de discriminer entre ses forces et ses faiblesses ou entre les situations qui évoluent favorablement et celles qui se développent mal.
Dans le deuxième cas, c'est la peur de l'échec qui risque de devenir paralysante. L'enfant comprend implicitement que c'est leur propre valeur que ses parents cherchent à établir à travers lui; il sait intuitivement que son échec serait pour eux une blessure intolérable. Il doit réussir à tout prix pour ne pas "détruire le rêve" ses parents. Il peut, en plus, croire qu'il doit exceller pour ne pas perdre l'amour de ses parents.
Mais en réalité ces explications sont insuffisantes pour comprendre le manque de confiance d'une personne. Les étapes de l'enfance ont leur importance, mais elles ne suffisent pas à donner à un adulte la confiance en lui-même et elles ne suffisent pas à l'en priver. En fin de compte, ce sont nos propres actions qui sont les facteurs les plus importants. C'est pour cette raison que Pierre a tort quand il pense que Julie réussit mieux à cause de son enfance plus favorable. C'est à cause de la façon dont chacun agit maintenant, dans cette situation nouvelle, qu'ils en sortiront avec des niveaux de confiance différents. Pour bien le comprendre ça, il faut examiner plus précisément en quoi consiste la confiance en soi.
D. Les ingrédients
La confiance en soi comporte cinq caractéristiques essentielles. En comprenant bien chacune, on peut facilement imaginer des façons d'agir sur notre confiance et sur celles des autres.
1- Une prédiction
La confiance en soi est toujours une prédiction. Il ne s'agit pas d'une qualité innée, du résultat d'un "insight" ou d'un sentiment. Cette confiance existe d'abord dans l'esprit: la personne fait une prédiction. Elle prévoit quelque chose qui surviendra dans l'avenir. Contrairement à ce qu'on croit souvent en regardant de l'extérieur une personne qui a confiance en elle, il ne s'agit pas d'une certitude mais d'une prédiction, avec une part réelle d'incertitude comme toutes les prédictions.
2- Réaliste
Contrairement à ce qu'on croit souvent, il ne s'agit pas d'une confiance aveugle. La confiance en soi est réaliste: elle s'appuie sur l'expérience réelle accumulée par la personne. Autrement, cette confiance serait dangereuse et conduirait à des échecs graves. Mais nous avons la chance d'être protégés par des réflexes vitaux qui nous empêchent, en temps normal, de nous faire une confiance aveugle ou excessive. Sans avoir à le décider, nous avons naturellement tendance à nous inspirer des résultats obtenus dans le passé pour prévoir ce qui nous attend.
3- Des ressources suffisantes
La personne qui entreprend une tâche nouvelle ou s'implique dans une situation inconnue ne peut connaître à l'avance les résultats qu'elle obtiendra. Si elle est réaliste, elle sait qu'un grand nombre de facteurs contribueront à créer ces aboutissements et que sa contribution, même importante, n'est que partielle. La confiance en soi ne va pas jusqu'à prédire les résultats: elle prédit, avec réalisme, qu'on a les ressources nécessaires pour faire face à la situation. Elle prédit qu'on est capable de trouver des solutions aux problèmes qui ne manqueront pas de survenir en cours de route. La personne confiante prédit, en s'appuyant sur son expérience, qu'elle va réussir à se débrouiller adéquatement. Elle ne sait pas si elle va réussir à atteindre ses objectifs, mais elle croit, avec un niveau de certitude élevé, qu'elle trouvera les moyens de "faire pour le mieux" dans la situation réelle.
4- Dans un domaine particulier
La confiance en soi n'est pas un chèque en blanc! Toute prédiction doit être relativement précise pour être réaliste. Cette prédiction s'applique toujours à un domaine particulier. Je peux avoir confiance en moi comme skieur sans être confiant comme golfeur. C'est le résultat de mes expériences accumulées dans ces deux domaines (ainsi que dans les domaines connexes comme le tennis et la planche à voile) qui est le principal critère. Je peux avoir confiance en moi comme amant mais non comme père, comme participant aux réunions mais non comme animateur, etc. Vue de l'extérieur, la confiance en soi apparaît souvent comme générale, mais en réalité, elle est toujours spécifique.
Par exemple, il est clair que Pierre n'a pas confiance en lui comme participant au groupe de travail dont il est membre avec Julie, mais il peut avoir une très grande confiance en lui-même comme père pour faire l'éducation de ses deux enfants. Tout dépend des expériences qu'il a accumulées dans chaque domaine et des conclusions qu'il en tire.
5- Temporaire
Et il faut ajouter enfin que la confiance en soi n'est jamais acquise définitivement. Elle est temporaire par définition, car elle est réaliste et ancrée dans l'expérience. Si je cesse de jouer au golf pendant quelques années, ma confiance dans ce secteur en souffrira. Je garderai sans doute la confiance d'être capable de retrouver mon habileté perdue, mais je sais par expérience qu'il faut jouer très régulièrement pour maintenir cette habileté. Le manque de nouvelles expériences amène ma confiance à s'émousser.
De nouvelles expériences malheureuses peuvent également l'atténuer ou même la détruire. Ce sera encore plus vrai si ces expériences ne peuvent être intégrées dans l'expérience de la personne. Par exemple, si je rencontre des échecs, surtout répétés, que je ne parviens pas à comprendre, leur effet sur ma confiance sera important. C'est comme si je ne pouvais plus me fier à mon expérience accumulée sur laquelle ma confiance s'appuyait. Ma compréhension pratique du domaine n'est plus applicable ou ne me semble plus valide.
Une définition
La confiance en soi est donc "Une prédiction réaliste et ponctuelle qu'on a les ressources nécessaires pour faire face à un genre particulier de situation".
Elle est toujours le résultat d'une accumulation d'expérience. Il s'agit toujours d'une certitude partielle qui s'applique à un domaine particulier et à un moment donné. Il ne s'agit jamais d'une prédiction de résultat ou de performance; c'est plutôt une prévision qui touche la façon dont les choses vont se passer.
Après ces explications, il est plus facile de comprendre pourquoi Pierre et Julie ont vécu, dans le même groupe de travail qui était nouveau pour les deux, des expériences si différentes. Ils abordaient la situation de façon bien différente et, à cause des choix qu'ils ont faits, ils obtiendront des résultats radicalement opposés du point de vue de la confiance en soi. Pierre en sortira avec encore moins de sécurité et plus convaincu que jamais qu'il est incapable de participer à ce genre de groupe alors que Julie y puisera une confiance qu'elle n'avait pas auparavant.
E. Comment bâtir sa confiance en soi
L'accumulation d'expérience
Lorsque nous abordons un domaine nouveau, nous sommes dans une situation d'insécurité. Nous ne savons pas trop à quoi nous attendre et comment nous adapter à ce contexte. Nous n'avons pas ce qu'il faut pour prévoir ce qui se passera et anticiper nos réactions. Nous ne pouvons avoir confiance en nous-mêmes dans ce domaine précis; il serait même dangereux de nous lancer avec assurance dans ce domaine sans en connaître mieux les pièges.
D'autres personnes peuvent être bien en confiance dans le même domaine, car elles y sont habituées. Elles en ont mesuré les dangers, elles sont familières avec ses caractéristiques et avec ce qui qu'y passe habituellement. Elle savent aussi comment elles réagiront dans un grand nombre des situations qu'on rencontre dans ce domaine. Elles peuvent prédire sans crainte qu'elles trouveront une façon de s'adapter à ce qui s'y passera. Elles ne savent pas exactement ce qui va se passer dans une situation particulière, mais elles n'en éprouvent pas le besoin. Cette marge d'incertitude demeure confortable ou même stimulante.
Le premier ingrédient de la confiance en soi est clair: il faut s'impliquer activement pour "prendre de l'expérience". C'est un élément essentiel, mais il ne suffit pas. Il doit s'accompagner d'autres ingrédients.
L'évaluation des résultats
Il ne suffit pas d'accumuler de l'expérience; il faut aussi en tirer les leçons appropriées. Autrement, on ne ferait que répéter les mêmes erreurs à l'infini ou reproduire une "recette magique" sans en connaître les limites.
C'est en faisant une évaluation précise de nos échecs que nous pouvons en comprendre les causes. Une fois qu'on a bien compris ses erreurs, on peut les corriger en agissant autrement, en tenant mieux compte de ce qui se passe. Sans cette compréhension, on est voué à essayer n'importe quoi en espérant "tomber par hasard" sur la bonne solution.
Mais il n'est pas facile d'essayer "n'importe quoi". La façon de faire qui a échoué était la meilleure qu'on avait trouvée; il est difficile de choisir une autre façon qui semble inférieure en espérant qu'elle donne de meilleurs résultats. Pas étonnant qu'on ait tendance à répéter à l'infini la même erreur. J'ai répété la même erreur en ski pendant des années, jusqu'à ce qu'un ami me fasse voir pourquoi mes virages à gauche étaient si laborieux. Mais dès ce moment, j'ai pu changer ma façon de faire. Les succès sont ensuite venus dès que j'ai réussi à automatiser cette nouvelle façon.
De la même façon, si j'ai réussi "par hasard" dans mes premières tentatives, je suis naturellement porté à répéter la méthode qui m'a donné ces bons résultats. Mais si je ne prends pas le temps d'examiner mon expérience, si je ne me donne pas la peine de comprendre pourquoi j'ai réussi, je suis presque condamné à répéter cette méthode à l'infini.
Souvent, nous devenons rigides et limités en nous fiant ainsi aveuglément à une méthode qui réussit. Nous ne comprenons pas assez ce qui se passe pour nous adapter aux situations et découvrir des variantes encore plus satisfaisantes; nous ne pouvons que répéter la "recette magique". Au bout du compte, nous demeurons alors relativement peu confiants dans nos capacités, car nous savons plus ou moins clairement que tout imprévu pourrait détruire notre stratégie.
Donc, en plus de l'accumulation d'expérience, la confiance en soi exige une réflexion critique sur ces expériences afin d'en comprendre les jeux de forces, les variables principales et les liens de cause à effet. La prédiction réaliste que constitue la confiance en soi doit s'appuyer sur une telle compréhension.
L'innovation volontaire
Si on répète toujours les mêmes gestes, on ne peut maîtriser que ceux-ci. Mais le fait d'être limité à quelques possibilités nous laisse très vulnérables: toute nouvelle situation risque de rendre notre méthode inapplicable. La confiance dans nos moyens d'adaptation est alors impossible et ne serait pas réaliste.
Une confiance en soi solide suppose donc une expérience variée: plusieurs variantes dans la situation et dans son évolution, plusieurs méthodes d'adaptation, plusieurs solutions aux obstacles rencontrés. Pour obtenir cette richesse d'expérience, il est nécessaire d'introduire volontairement de la variété.
Pourquoi ne pas se satisfaire de la variété qui viendra nécessairement des événements eux-mêmes? On pourrait croire que ces derniers apporteraient des variations aussi intéressantes et même plus réalistes ou pertinentes. Mais en fait ce n'est pas le cas, car ces variations obéiraient plus ou moins au hasard et aux déterminants qui sont extérieurs à nous. Elles ne pourraient jamais nous permettre d'explorer de nouvelles (et peut-être meilleures) façons de réagir aux mêmes situations. Notre exploration serait limitée à la création de nouvelles solutions pour de nouvelles situations. La vraie confiance suppose qu'on est capable de s'adapter rapidement aux situations et de créer de nouvelles solutions lorsque nécessaire. Elle se renforce encore davantage lorsqu'on ose chercher des solutions meilleures que celles qu'on connaît déjà.
Par ailleurs, il est certain que cette expérimentation "plus ou moins volontaire" nous mettrait plus souvent dans des situations très nouvelles auxquelles nous n'aurions pas de réponses adéquates. Notre taux d'échec serait beaucoup plus élevé, ce qui entraînerait des effets négatifs, au moins à court terme, sur notre niveau de confiance. L'innovation volontaire nous permet au contraire de construire à partir de nos succès et de développer de nouvelles options en nous appuyant sur notre compréhension qui va en grandissant. Ceci nous amène au dernier ingrédient essentiel: la gestion des risques.
Des risques calculés
Autrefois, certains disaient que la meilleure façon d'apprendre à nager, c'est de se jeter à l'eau. Malheureusement, les personnes qui avaient l'expérience nécessaire pour démentir ce mythe étaient toutes mortes noyées. Il faut survivre pour que notre expérience puisse se transformer en confiance en nous!.
La stratégie la plus efficace pour que notre expérience nous serve à développer rapidement notre confiance en nous-mêmes, c'est de bien choisir les risques que nous prenons. Autrement dit, nos tentatives nous seront plus utiles si nous faisons des expériences dont le degré de risque nous apparaît tolérable. De cette façon, nous pourrons aller de succès en succès tout en apprenant les variantes et les subtilités du domaine que nous apprivoisons. Même les échecs seront tolérables et pourront faire partie de notre apprentissage parce que nous les aurons envisagés à l'avance et nous en aurons contrôlé la gravité.
Il est nécessaire de prendre des risques pour sortir des solutions toutes faites et explorer vraiment le nouveau domaine. Mais il n'est pas utile de risquer des échecs qui nous détruiraient; il vaut mieux augmenter progressivement le niveau de difficulté et l'importance des risques. C'est de cette façon que nous serons sûrs d'avoir les ressources et la sécurité personnelle pour accepter et exploiter les échecs lorsque nous les rencontrerons.
En somme, c'est comme pour tous les autres apprentissages, il faut graduer la difficulté pour progresser rapidement; ne pas rester limité à ce qu'on connaît déjà, mais ne pas se lancer aveuglément dans des situations trop difficiles pour les moyens dont nous disposons.
F. Un exemple en guise de conclusion
Imaginons que Pierre lise cet article; il pourrait décider que son manque de confiance en lui-même n'est pas nécessairement définitif. Il pourrait choisir de profiter de la deuxième réunion de ce Comité pour commencer à développer sa confiance en "prenant de l'expérience". Voici un exemple de la façon dont il pourrait procéder.
Pierre a remarqué un truc que Julie utilise abondamment et qui semble lui réussir: elle entre directement en contact avec les autres. Il aimerait en faire autant, mais il craint d'être maladroit parce qu'il n'a pas l'habitude de prendre les devants.
Astucieux, Pierre décide qu'il peut se préparer en s'entraînant dans des situations où il se sent plus sûr de lui. Il choisit donc, en attendant la prochaine réunion du Comité, de se servir de ses collègues de travail pour devenir plus habile à aborder les gens.
Il décide qu'avec chacune des six personnes de son équipe de travail, il créera de sa propre initiative un contact par jour: amorcer une brève conversation à propos de la principale manchette du journal, poser une question sur un point technique du travail, s'informer du week-end, exprimer sa réaction personnelle devant une situation, dire bonjour dans l'ascenseur, peu importe! Pierre veut s'habituer à prendre l'initiative qui crée le contact.
Après environ une semaine, Pierre commence à trouver cette approche un peu trop facile. C'est devenu presque naturel pour lui d'aborder ses collègues et il constate que ses relations avec eux sont devenues plus intéressantes; il a le goût de leur parler alors qu'auparavant il restait plutôt seul. Comme il reste encore un mois avant la prochaine réunion du Comité, Pierre cherche une autre façon de prendre de l'expérience dans l'art d'aborder les gens, quelque chose d'un peu plus difficile.
Il voit deux possibilités: aborder son chef d'équipe (qui l'impressionne beaucoup) et aborder de parfaits inconnus. Il décide de commencer par son supérieur car ça lui semble moins artificiel que d'aborder des inconnus sans prétexte valable. Pendant deux semaines, il prend l'initiative d'un contact par jour avec son chef d'équipe; au moins le saluer et lui demander "comment ça va", mais il veut davantage... Et après une douzaine de jours, il trouve le courage de prendre rendez-vous avec son chef pour lui parler d'un point qui le préoccupait depuis deux ans.
Et il continue ainsi à progresser grâce à ses exercices réguliers et à la gradation des difficultés auxquelles il se mesure. De plus, il réfléchit aux tentatives nouvelles qu'il pourrait faire, aux les résultats qu'il obtient. Il continue à essayer de nouvelles façons d'agir pour les comparer aux anciennes. Il est allé jusqu'à prendre le Métro pour se rendre au travail afin de vérifier s'il trouverait le courage d'aborder sans raison de parfaits inconnus. Il est sorti de cette expérience gonflé à bloc! Lui qui autrefois examinait soigneusement le plancher dans de telles situations, il s'est surpris à parler à deux personnes du match d'hier, à regarder les gens avec intérêt et à sourire à une jolie jeune femme lorsque leurs regards se sont croisés. Pierre commence à trouver qu'il est plutôt habile à initier des contacts...
Ensuite, il s'attaque à la préparation de la prochaine réunion du comité. Il se dit que s'il parvenait à initier un contact intéressant avec chaque membre du groupe, sa participation aux travaux du comité serait beaucoup plus facile. Comme il craint d'avoir le trac et de manquer d'inspiration sur le moment, il décide de se préparer à l'avance. Il veut avoir quelque chose à dire en abordant chaque membre du comité.
Deux jours avant la réunion, il prend le temps d'identifier ce qu'il aimerait réellement dire à chaque personne; quelque chose de particulier pour chacune. Il s'assure de choisir quelque chose qu'il se sent capable de dire réellement et va même jusqu'à essayer de le dire à haute voix pour vérifier s'il se sent confortable. Ainsi, même s'il manque d'inspiration sur le moment et même si la nervosité nuit à sa concentration, il aura quelque chose de valable à dire pour prendre contact avec chacun. Il est étonné de constater qu'il n'a aucune difficulté à trouver des choses qu'il aimerait dire à chaque personne, à partir de ce qu'il connaît d'elles.
Croirez-vous que le jour de la réunion Pierre était nerveux mais enthousiaste; il avait hâte! Il est arrivé tôt, a eu le temps d'échanger avec trois personnes avant que la réunion commence et deux autres à la pause. Fort de ces nouveaux liens, il se sentait nettement plus à l'aise pendant la réunion. En s'adressant plus particulièrement à une de ces personnes, il a exprimé une opinion vraiment personnelle pendant la réunion. Il en est très heureux, même s'il n'a pas réussi à développer son idée autant qu'il l'aurait souhaité. Il est satisfait d'avoir osé et se réjouit de la confiance nouvelle qu'il sent se développer en lui. Il a hâte à la prochaine réunion, car il la voit comme une occasion de continuer à apprendre.
En bref
Parce qu'il a décidé de faire des expériences, Pierre s'est mis dans une situation où il pouvait augmenter sa confiance en lui-même. Parce qu'il a pris soin de graduer la difficulté de ses expériences, il s'est donné la possibilité de progresser rapidement dans sa confiance. Parce qu'il réfléchit sur ses expériences et cherche à comprendre les causes de ses succès comme celles de ses échecs, Pierre comprend de mieux en mieux ses forces et ses faiblesses dans les contacts interpersonnels et il perçoit plus clairement les forces qui sont en jeu dans un groupe de travail.